mercredi 19 mars 2008

Chronique intermédiaire 10

Rédemption et repentir.


Lors de mon dernier article concernant la Chrysopée du Seigneur de Raymond Lulle, j'ai brièvement abordé les principes de rédemption et de repentir. Lorsque je parle de repentir. Il ne s'agit pas ici de psalmodier mécaniquement: mea culpa ! mea maxima culpa, ou de pratiquer je ne sais quelle autoflagellation physique ou mentale. La Rédemption qui est le principe même du changement de direction d'un cheminement, passant de l'involution à l'évolution, ne peut se faire sans une prise de Conscience qui fait comprendre que le chemin suivi n'est pas le bon, et, comme il est si habilement suggéré dans les Noces Chimiques, qu'il est nécessaire de se retourner.

Cette Conscience, avant de mériter de pouvoir avancer sur le chemin de la Rédemption, doit d'abord s'épurer en discernant les pensées justes en vertus, de celles qui ne le sont pas, et auxquelles elle a donné un asile en toute confiance, par négligence, ignorance ou pire encore par simple routine. Cette épuration, indispensable condition pour que la progression puisse se poursuivre lors de la méditation, est ce que les alchimistes ont appelé le massacre des innocents. Elle commence par un inventaire sans complaisance, des multiples compromis que nous avons l'habitude de prendre au quotidien avec les sollicitations ordinaires. Si la pratique des vertus doit devenir la règle, afin d'atteindre un niveau vibratoire élevé, l'exercice qui consiste à passer en revue tout ce qui dans notre passé n'a pas été conforme aux règles des principales vertus, tant dans les actions, les paroles que les pensées, est une première et salutaire mise en pratique. Le repentir sincère n'est pas celui que nous manifestons envers ceux que nous avons injustement traités, même si parfois cela en fait aussi partie, -ne serait-ce que pour supprimer un poids karmique par trop pesant -, mais c'est d'abord celui que nous serons capables de manifester, en notre for intérieur, en ayant un regard lucide sur des comportements, des attitudes et des paroles, qui ont été les nôtres, que nous accepterons de regarder dans leur cruelle réalité, et de les juger comme n'étant pas, ou plus dignes d'être reçus et considérés par une Conscience qui décide de s'élargir en direction des lois de la Divine Providence. Cette épuration fait donc appel à la faculté de discernement, pour distinguer ce qui est du domaine des vices, ignorance, faiblesse, témérité, vanité, arrogance, légèreté, inconséquence, manque de compassion, de pondération, de mesure, de justice, etc... de celles des vertus comme le courage, la droiture, l'effort, l'humilité, la tolérance, la tempérance, le souci de justice, la quête continuelle de la Connaissance, etc... Avoir la Force et le courage de faire l'inventaire de ce que nous avons été capables de manifester dans le passé, pour en être, le plus impartialement possible, le juge rigoureux, est le plus sur et le plus solide moyen de parvenir à l'épuration que doit apporter ce repentir sincère. Ce travail, qui en réalité est beaucoup plus long et subtil qu'il n'y paraît de prime abord, demande de prendre le temps de faire l'inspection de nos propres oeuvres, petites ou grandes, ou de l'absence de celles-ci lorsqu'en réalité elles auraient dû trouver un espace de concrétisation. Une règle de haute responsabilité veut que ne pas faire le bien, lorsque nous sommes en situation de le faire, soit de même nature que de faire le mal. Il est rare que nous n'ayons pas à déplorer, dans un parcours de vie plus ou moins long, d'avoir été dans cette situation, sans pour autant avoir eu le bon comportement, soit par loi du moindre effort, soit par manque de responsabilité, soit par simple ignorance des règles qui fondent les principes de bonne justice. Le repentir sincère passe aussi par l'attitude que nous avons eue vis-à-vis de toutes les personnes que nous avons croisées dans notre vie, et dont certaines nous ont apporté beaucoup, et avec une générosité d'autant plus grande qu'elle a été en plus discrète, et auxquelles nous n'avons pas accordé les manifestations sincères de gratitudes, et/ou de considération. C'est en général le comportement bien naturel de tous les enfants et adolescents qui s'imaginent facilement, ne serait-ce que pour se donner bonne conscience à faible prix, que ce qu'ils reçoivent leur est en réalité dû. Que l'on ne se méprenne pas sur mes propos, l'enfant ou l'adolescent n'est pas responsable de ce comportement égotique parfaitement normal dans cet état de développement, mais l'adulte qui porte en lui, d'une façon indissociable, l'enfant et l'adolescent qu'il a été, a la lourde responsabilité d'assumer le repentir de ce passage obligé, surtout envers les personnes, qui se révèlent, avec cette prise de conscience, comme ayant été injustement traitées par lui, qu'elles soient vivantes ou depuis décédées. Ce repentir sincère sera l'allégement du poids karmique que fait peser les ingratitudes de l'inconscience, et qui continuent de parasiter (polluer) l'ensemble d'un corpus de pensées tant qu'elles n'ont pas été identifiées comme étant de la catégorie de l'épais, du lourd, du fixe.

Après avoir soigneusement passé en revue son parcours de vie, aussi loin que le permette la mémoire, ainsi que l'inventaire des personnes auxquelles nous sommes légitimement redevables, auxquelles nous devons présenter la manifestation d'une prise de conscience de ce ou ces comportements injustes et ingrats, qu'elles soient toujours incarnées ou non, le repentir sincère impliquera que nous décidions de ne plus laisser la possibilité d'être à nouveau dans cette situation qui impliquerait une responsabilité karmique d'autant plus lourde qu'elle serait parfaitement consciente. Si, selon l'adage, les peuples qui n'ont pas de mémoire, sont condamnés à revivre leurs histoires ; les individus qui n'ont pas de mémoire sont eux aussi condamnés à commettre à nouveau leurs turpitudes et leurs égarements. Le repentir est donc une épuration nécessaire qui implique la manifestation d'un sens moral et d'un sens élevé de ses propres responsabilités, mais il ne mène à aucune rédemption tant que le comportement n'est pas mis en conformité avec les pensées justes en vertus qui doivent être celles qui gouvernent la Conscience. C'est là un des sens qu'il convient de donner à cette sentence de la Table d'Emeraude :

Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais doucement, avec grande industrie.

Ce travail de repentir n'a pas besoin de témoins pour se faire ; ce n'est ni une confession faite à autrui, - ce qui en général donne le sentiment à celui qui se confesse, de pouvoir continuer dans la même veine jusqu'à la confession prochaine, après avoir obtenu une sotte et illusoire rémission de péchés -. Il n'est pas davantage une psychanalyse qui n'est en rien libératrice, contrairement à ce que d'habiles commerçants du système prétendent, mais est au contraire un processus qui emprisonne la Conscience dans une redoutable camisole égotique, histoire de faire durer la pseudo analyse sur une longue période d'honoraires. Donc , quand ce travail est effectué, il demandera pour être efficace, une vigilance accrue de la part de l'oeuvrant, afin que chaque pensée soit pesée sur les plus fines balances pour en connaître la justesse avec la plus grande précision. Le faire à partir de chaque pensée, permet d'éviter d'avoir à le faire pour des paroles ou des actes inconsidérés, eu égard au fait que c'est la pensée qui donne naissance aux deux autres.

Nous ne sommes pas des saints et nous n'avons aucune possibilité de le devenir. Croire le contraire est une imbécillité d'ignorant. Même les dieux ont leur aspect démon, alors il faut se faire à l'idée que le libre arbitre et la Conscience différenciée de l'Universel, impliquent que nous ayons constamment le choix entre le Bien positif et le Bien négatif ; entre le Bien et le Mal, pour ceux qui ne sont pas encore au fait de la Science Hermétique. Si pour le Bien négatif, il n'est pas nécessaire de faire le moindre effort, il est même conseillé le contraire, pour le Bien positif (la Rédemption) il est impératif de faire preuve de volonté, de courage d'effort et de vertus. Ce n'est que lorsque que nous activons notre faculté volitive et le niveau de nos Connaissances, que nous domestiquons les nombreux petits démons du Bien négatif, avec lesquels nous devons apprendre à cohabiter, sans pour autant leur permettre de prendre le pouvoir. Le Sage n'est pas quelqu'un qui n'a pas de défaut, c'est juste quelqu'un qui par une ascèse régulière, a appris à tenir son ego en cage par le développement de ses qualités, dont l'activation des facultés supérieures (nécessairement vertueuses) fait partie.

Le repentir n'est pas non plus quelque chose que l'on pratique à un moment donné, et qui ne fait plus partie de nos exercices après cette pratique. Prendre Conscience que ce que nous prenions pour vrai, juste et moral, n'était en réalité que des apparences du vrai, du juste et de la morale, est la démonstration de l'éveil de cette Conscience; mais plus l'adepte progresse, plus sa Conscience s'élargit au point d'être sans cesse dans l'obligation, de reconsidérer, sur des balances de plus en plus fines, ce qu'elle prenait pour des pensées justes en vertus, et qui, si elles ne sont pas franchement des vices, n'étaient pas pour autant suffisamment justes pour être considérées comme des véritables vertus. Le repentir est donc un principe qui est directement lié avec celui de la perfectibilité. Progresser dans sa perfectibilité, implique la pratique constante du repentir, et cette pratique pour rester efficace, ne doit pas devenir un rituel automatique et sans âme comme celui que j'évoquais au début de cette chronique : me culpa ! mea maxima culpa ! Ce repentir là, est à la fausse monnaie ce que le repentir sincère, médité, intelligent est à la vraie. Le repentir implique bien évidemment une pratique de l'humilité sans laquelle il n'y a jamais de grandeur possible, et là encore il convient de ne pas sombrer dans les déviances si souvent constatées qui confondent humilité et humiliation.

Lorsque le repentir est sincère, selon les principes ci-dessus, il apporte les bienfaits d'une Rédemption qui est accordée sans qu'il soit nécessaire de la réclamer. Mais il convient de ne pas confondre cette Rédemption avec les fumeuses indulgences plénières de tristes renommées. Cette Rédemption est ce qui permet à l'oeuvrant de progresser en direction de la Divine Providence, étape par étape, et à chacune de ces étapes il faudra obligatoirement procéder à une épuration pour pouvoir accéder à l'étape suivante. Rappelons-nous que la Divine Providence n'impose rien, elle se reçoit de façon volontaire et clairement manifestée. Personne n'est obligé de pratiquer le repentir sincère, mais il faut simplement se souvenir qu'il n'y a pas de Rédemption sans cette pratique !

La méditation est la voie de la plus haute perfectibilité possible, elle implique nécessairement la pratique du repentir sincère qui se manifeste, je le rappelle encore et inlassablement, par l'exercice des pensées justes en Vertus.


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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Que de bonnes nourritures pour moi par tes justes écrits.

Mais l'ego est redoutable et il suffit d'être au milieu de la foule pour voir toutes nos bonnes et sincères résolutions partir en fumée.

Combien de méditations et de connaissances faut il pour avoir la force de vaincre cet égo ?

De la persévérance dans le temps et une volonté forte permet sûrement d'en venir à bout.

OseKa a dit…

Nous en sommes tous là cher Gilles... et à tout instant le mage peut basculer... s'il n'y prend garde lui aussi...

Mais l'important comme vous c'est justement d'en avoir conscience.

Je me rappelle lu l'un de vos commentaires dans lequel vous rappeliez à juste titre "Ora et Labora"... et le "recevoir autant que possible"...

Fraternellement