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Appel sur Médiapart – Affaire Tapie: à ceux qui n’y croient plus
Si nous perdons devant le Conseil d ’Etat, ce ne sera pas parce que nous avons tort sur le fond de cette affaire, puisque la substance même de notre recours est désormais totalement occultée.
Avec son confrère Philippe Lhomme et le député centriste Charles de Courson, Geneviève Sroussi est l’un des deux avocats qui, en qualité de contribuable, a introduit un recours pour excès de pouvoir visant Christine Lagarde dans l’affaire Tapie, que le Conseil d’Etat a examiné lundi 11 juillet. Elle lance sur Mediapart un appel à «à ceux qui n’y croient plus».
En octobre 2008, Philippe Lhomme et moi-même avons introduit un recours devant le Tribunal administratif de Paris, à l’encontre de l’Etat, pour voir annulées les décisions du ministère de l’économie et de l’EPFR (Etablissement Public de Financement et de Restructuration) de ne pas s’opposer au recours à l’arbitrage dans le litige opposant les liquidateurs du Groupe Bernard Tapie au CDR (Consortium de réalisation).
Ce recours a été introduit avec l’intervention active du député Charles de Courson.
Contribuable depuis plus de 25 ans, je trouve légitime et fondé d’assumer une contribution financière, notamment par le biais d’un impôt sur le revenu, afin que soit assuré le principe de solidarité entre tous les citoyens français.
En revanche, je trouve illégitime de contribuer, par mes revenus, à assumer financièrement les conséquences d’un litige d’ordre purement privé et commercial au seul motif –totalement insuffisant– qu’au moment des faits, le Crédit lyonnais était une entreprise nationalisée.
Dans un contexte aussi fortement politique, j’étais et je reste particulièrement consciente de la faiblesse des chances de succès d’un tel recours.
Le premier objectif de ma démarche était, avant tout, de comprendre dans quel contexte l’Etat français avait été capable d’engager ma contribution à l’impôt, notre contribution à tous, sans aucun contrôle à quelque niveau que ce soit.
Or, cette procédure administrative m’a permis d’avoir confirmation des conditions anormales dans lesquelles ce processus d’arbitrage s’est enclenché.
Aux termes d’un rapport particulièrement circonstancié (n°59631), la Cour des Comptes révèle de multiples dysfonctionnements dans les relations entre l’EPFR, établissement de droit public et sa filiale, le CDR, société prétendument de droit privé, et filiale à 100% de l’EPFR.
Dans le cadre du «fameux» vote de l’EPFR intervenu le 10 octobre 2007 et tendant à ne pas s’opposer au recours à l’arbitrage, il résulte notamment de ce rapport:
• une absence de remise aux administrateurs de l’EPFR, lors de sa séance du 10 octobre 2007, du texte du compromis d’arbitrage «Adidas Tapie» alors même que c’est justement lors de cette séance qu’il leur était demandé de voter sur l’opportunité ou non de recourir à un arbitrage
• une absence d’information du conseil d’administration de l’EPFR de la clause du compromis relative au «plafonnement» (sic) du préjudice moral à 50 millions d’euros
• la violation d’un protocole en date du 30 janvier 1998 règlementant les relations entre l’Etat et le CDR et aux termes duquel il était clairement spécifié que l’Etat n’interviendrait pas –à quelque niveau que ce soit– dans la conduite opérationnelle du CDR.
Or il est reporté textuellement, dans le rapport de la Cour des Comptes, que «dans la gestion du dossier ADIDAS TAPIE des contacts directs ont eu lieu entre le Cabinet du ministre et le Président du CDR les positions étant ensuite entérinées par l’EPFR sur la base des instructions données par le ministre».
Bien plus et enfin, le vote de l’EFPR du 10 octobre 2007, décidant de ne pas s’opposer à la mise en place d’un arbitrage par le CDR, ne devenait effectif qu’à la condition impérative d’obtenir un accord écrit du Crédit lyonnais sur une prise en charge financière forfaitaire de sa part «avant régularisation du compromis et engagement de la procédure d’arbitrage».
Il s’agissait donc d’une «non opposition» à l’arbitrage, mais sous condition résolutoire d’obtenir cet engagement du Crédit lyonnais.
Cet accord n’a pas été donné.
Pour contourner cet obstacle majeur, le ministre de l’économie demandait alors au Président de l’EPFR, par courrier du 23 octobre 2007, «d’interpréter» cette condition suspensive de telle manière que l’accord du Crédit lyonnais soit obtenu «avant le prononcé définitif de la sentence» et non plus «avant engagement de la procédure d’arbitrage».
Et l’on constate ainsi qu’interpréter peut signifier dénaturer.
Le Crédit lyonnais persistera à ne pas donner son accord.
La procédure d’arbitrage s’est pourtant et «tranquillement» ouverte sur des bases intrinsèquement dévoyées et juridiquement irrégulières.
Le second objectif de ma démarche était et reste de tenter d’infléchir le Conseil d’Etat qui, inlassablement depuis 1930, juge irrecevable le recours de tout contribuable ayant pour objet d’attaquer des décisions portant sur des dépenses irrégulières lorsqu’elles sont prises au niveau national.
Notre recours est fondé sur l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, aux termes duquel «les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d‘en suivre l’emploi…»
Pour juger notre recours irrecevable, la Cour administrative d’appel de Paris avait considéré que ce texte fondateur ne permet au contribuable d’agir que lorsqu’il s’agit «d’impôt» et non de «dépense publique».
Or, il ne peut y avoir une dépense publique… que s’il y a justement en amont un impôt pour la régler.
C’est bien parce qu’elle est financée au niveau national, régional, départemental et local par tous les contribuables français que la dépense publique peut exister!
Dans l’affaire Adidas/Tapie et dès lors que nous participons, avec nos revenus, au financement de cette dépense «publique» exorbitante, il est pour le moins légitime d’obtenir des explications sur son bien fondé.
C’est dans ce contexte que cette affaire a été plaidée lundi 11 juillet devant le Conseil d’Etat.
Deux éléments sont à retenir:
• la rapidité étonnante avec laquelle la haute juridiction a fixé son instruction à son audience ce 11 juillet sans même nous laisser le temps de répliquer au mémoire de l’Etat et à celui récemment déposé par Bernard Tapie qui s’est «invité» à cette procédure administrative «en présence de l’Etat»
• les observations du rapporteur public qui conclut à l’irrecevabilité de notre recours dans le droit fil de la position de la Cour administrative d’appel, ce qui lui permet ainsi de ne pas aborder le fond du dossier
En première instance, en cause d‘appel et désormais devant le Conseil d’Etat, il est à nouveau expliqué aux contribuables français qu’ils ont l’obligation de payer leur impôt mais uniquement le droit de se taire lorsqu’ils s’inquiètent de son affectation.
Il leur est également expliqué que ce refus de leur accorder un intérêt à agir trouve sa source dans la délégation qu’ils auraient confiée au Parlement par la voix de leurs représentants pour contrôler les dépenses publiques.
Mais d’une part, l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme ne le dit pas et laisse le choix au contribuable de contrôler par lui-même l’affectation de sa contribution à la solidarité nationale.
D’autre part, il suffit de lire quelques extraits de divers rapports rendus sur le sujet, notamment ceux de l’Ifrap en 2005 et 2007 pour constater que le contrôle parlementaire n’existe pas et que «l’une des principales causes du déficit public et de la dette qui écrase la France est que le Parlement ne contrôle pas la dépense publique».
«La Constitution française, au lieu de concentrer les pouvoirs de contrôle dans un organisme rattaché aux commissions des finances, a éparpillé ce pouvoir entre 43 rapporteurs spéciaux dans l’une et l’autre assemblée, chacun chargé de contrôler un ministère.» L’Ifrap précise que «La Constitution interdit (…) à ces rapporteurs de se faire assister pour leurs contrôles sur place: ils doivent les exécuter eux-mêmes, ce qui est impossible compte tenu… qu’un contrôle sérieux exige des centaines, voire des milliers d’heures» et poursuit: surtout, «leurs rapports sont en fait rédigés par les administrateurs de la Commission des Finances qui, étant encore moins nombreux…, se tournent pour le contenu du contrôle vers le ministère concerné, qui lui réfère au ministère des Finances. Ce sont donc les ministères contrôlés qui… rédigent en fait les rapports de contrôle les concernant…»!
C’est ainsi que le pouvoir exécutif s’autocontrôle, ce qui permet d’aboutir au résultat que l’on sait.
Après trois années de silence, j’ai décidé d’exposer ma position parce qu’il y a dans cette affaire une raison d’Etat qui prédomine et qui n’est pas celle des simples contribuables que nous sommes.
A ceux qui à travers leurs commentaires sur cette affaire, dans les rubriques de Mediapart, laissent transparaître leur profonde désillusion et leur évidente fatigue morale quant au fonctionnement de nos institutions, à tous ceux qui, pour tout dire, «n’y croient plus», je tenais à dire très simplement que nous avons «essayé».
Si nous perdons devant le Conseil d ’Etat, ce ne sera pas –comme vous l’avez compris– parce que nous avons tort sur le fond de cette affaire, puisque la substance même de notre recours est désormais totalement occultée.
Mais peut-être aurait-il fallu que nous soyons 10.000 à exercer ce recours pour être un tant soit peu considérés.
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